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Chroniques
Aribert Reimann
Medea | Médée
Tout commence par un piège. S’il veut récupérer le trône d’Iolcos usurpé par son oncle Pélias, Jason doit lui ramener la Toison d’or – celle de Chrysomallos, le bélier ailé (khrusós, l'or / mallós, la touffe de laine) –, jadis dérobée à Delphes sur ordre d’Apollon et désormais gardée par un dragon. Parvenu en Colchide en compagnie des Argonautes, le fils d’Eson se voit promettre la précieuse fourrure par Æétès, roi du pays et père de Médée. Il doit pour cela triompher de diverses épreuves supposées insurmontables. Victorieux, Jason se voit pourtant refuser un trophée pour lequel Æétès a lui-même tué. Fille de nymphe et nièce de magicienne, Médée use alors de ses pouvoirs pour aider celui qui s’est (sincèrement ?) épris d’elle. Les amants regagnent Iolcos où le trône leur est à nouveau refusé et où ont les soupçonnent bientôt de la mort de Pélias. Ils partent chercher refuge à Corinthe.
Quand le rideau s’ouvre sur l’opéra en quatre tableaux de Reimann, Médée enfouit dans la terre tout ce qui lui rappelle son pays, ses origines et son passé – la fameuse Toison tout comme ses potions. Une nouvelle vie commence mais la situation est sombre : sa nourrice Gora lui rappelle que Jason ne l’aime plus et ce dernier lui signifie durement qu’elle est un obstacle à leur demande d’asile. Pourtant, le roi Créon n’hésite pas à accueillir un Grec avec ses deux enfants ; c’est Médée qu’il redoute et n’accepte qu’avec peine. Celle-ci promet de gommer sa sauvagerie et, grâce à la bonne volonté de la princesse Créuse, tente de se plier à de nouvelles coutumes. Mais le drame va bientôt frapper le palais : un envoyé des Dieux arrive qui accuse le couple du meurtre de Pélias. Ils doivent partir dans les trois jours. Mais seule Médée est bannie, à qui on arrache ses enfants…
Réputé pour ses opéras puisant dans la littérature – Rêves et La sonate fantôme de Strindberg (1965 et 1984), Le Roi Lear (1978), Le Château (1992), La maison de Bernarda Alba (2000), etc. –, le compositeur allemand Aribert Reimann (né en 1936) a hésité à répondre à une commande de la Staatsoper de Vienne en 2006, car la tâche est longue et le travail de création pas forcément agréable. Une fois son accord donné et choisi pour sujet le drame du Viennois Franz Grillparzer (1791-1872) issu de sa trilogie Das Goldene Vlies, le créateur semble possédé : les idées musicales s’imposent à mesure qu’il écrit le livret, le réveillent la nuit et l’isolent de toute vie sociale – « J’aurais tout aussi bien pu quitter mon appartement pour m’enfermer dans une cellule de moine, dit-il. En revanche, il me paraissait pratiquement impossible de continuer à vivre sans avoir achevé Medea ».
La première de l’ouvrage date du 28 février 2010. Dans un univers minéral installé par Marco Arturo Marelli, la Medea d’apparence chtonienne qu’incarne Marlis Petersen tranche avec ses hôtes vivant (signe d’hybris ?) entre ciel et terre. Évidente et expressive, onctueuse et colorée, sa voix porte un désarroi qui ne peut laisser de glace lorsque, pour seul appui Elisabeth Kulman (Gora ferme et impactée), Adrian Eröd (Jason vaillant et souple) se détache d’elle irrémédiablement. Michael Roider (Kreon) s’avère sonore et Michaela Selinger (Kreusa) d’une belle agilité dans ses vocalises juvéniles. En messager, Max Emanuel Cencic fait preuve de lumière et de nuances. Admiratif de « rythmes flottantsqui génèrent cette impression d’écoulement fluide et qui n’offrent aucun point de repère conventionnel », le chef Michael Boder revient avec engagement à la musique de Reimann, près de deux heures durant.
LB